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Avis 128/10

Demande d’avis à la Commission de déontologie par un service agréé

La Commission est saisie d’une demande d’avis émanant d’un service d’aide en milieu ouvert qui se pose la question de l’opportunité d’investir les réseaux sociaux en ligne tels que Facebook.

 

« A l’origine de la demande, plusieurs collègues de notre association qui ont souhaité créer un groupe (…) sur Facebook. (…). Facebook est un outil qui permettrait aux jeunes d’être tenus au courant via les outils qu’ils utilisent, de ce qui se fait en temps réel dans notre service. Il s’agit d’une part de créer un lieu où les jeunes peuvent entrer en contact avec le service, une première approche informelle.

 

Dans une préoccupation d’éducation aux médias, il nous paraissait également important, sans vouloir cautionner ou encourager l’usage des réseaux sociaux, d’y être présent. Davantage dans une perspective de ‘réduction des risques’ et d’éducation ainsi que pour tenter de combler le fossé numérique entre une certaine population jeune et les services qui sont à leur disposition.

 

Par ailleurs, des craintes nous sont immédiatement apparues au niveau du respect du secret professionnel. Etre présent sur Facebook pourrait être assimilé à une publication en ligne d’une liste des jeunes fréquentant notre association qui, bien que consentants, ne mesurent peut-être pas l’impact que cela pourrait avoir. Quelques craintes également au niveau de l’intimité du jeune, n’y a-t-il pas un champ de sa vie auquel nous assistons mais auquel nous préférons ne pas avoir accès car relevant de sa vie privée ? Quelles sont les limites du secret professionnel dans ce domaine ? Est-ce que l’adhésion volontaire à un groupe en ligne est suffisante pour dépasser ce secret professionnel ? »

 

            Pour répondre à ces questions, la Commission a effectué des recherches dans la littérature spécialisée en la matière. Elle a également rencontré le Délégué général aux droits de l’enfant en tant que personne ressource. En effet, le Délégué général a, d’une part, pour mission générale de veiller à la sauvegarde des droits et des intérêts des enfants et, d’autre part, fait le choix d’être présent sur les réseaux sociaux par l’intermédiaire de Facebook.

 

 

 

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1. Au regard des connaissances acquises sur la culture médiatique des adolescents, quatre conséquences principales peuvent être relevées concernant l’usage des réseaux sociaux sur Internet par les jeunes :

 

i) Les réseaux sociaux permettent aux jeunes de créer et de maintenir des liens avec leurs pairs et, de manière secondaire, avec des adultes. Ces outils sont en constante évolution (on passe progressivement d’une utilisation domestique sous contrôle potentiel des parents à une utilisation « nomade » des réseaux sociaux par le biais des téléphones portables intelligents) et permettent aujourd’hui aux jeunes d’être connectés en continu.

 

ii) « La course effrénée à la popularité en comptabilisant le nombre d’amis sur Facebook ou le nombre de commentaires informant sur l’audience d’un blog produit de véritables stratégies de mise en scène de soi. A la fois produisant une inclusion sociale dans les réseaux établis, ils nourrissent également des comportements d’exposition, qui peuvent être particulièrement problématique quand l’identité est en construction »[1].

 

iii) «  Les adolescents seraient particulièrement vulnérables à cette urgence de communiquer, instaurée par l’immédiateté de ce qu’on a appelé le Web 2.0 »[2].

 

iv) «  L’utilisation des forums de discussion permet à l’adolescent de répondre aux questions qu’ils se posent sur des sujets délicats tout en préservant son anonymat. L’internet devient ainsi une source d’informations importante pour cette tranche d’âge en quête de réponses immédiates »[3].

 

2. De manière générale, la Commission est d’avis que ces éléments, qui indiquent des mutations dans les modes de vie des jeunes, devraient conduire les intervenants de l’Aide à la jeunesse, d’une part, à s’y intéresser et à les intégrer dans leurs pratiques et, d’autre part, à imaginer des dispositifs pédagogiques adaptés pour conduire les jeunes à penser leurs pratiques.

 

L’usage de ces technologies ne doit certes pas devenir une fin en soi mais elle peut être un moyen susceptible d’actualiser et d’affiner la posture éducative et l’entrée en relation avec les jeunes. En effet, selon l’article 4 du Code de déontologie, « les intervenants ont un devoir de formation et d'information permanentes » et, dans cette perspective, « ils ont l'obligation de remettre en question régulièrement leurs pratiques professionnelles et veillent à les adapter à l'évolution des connaissances et des conceptions ». Intégrer l’outil informatique, qui fait partie du quotidien des jeunes, dans les pratiques éducatives doit nécessairement passer par des réflexions, des échanges de bonnes pratiques, des prises de conscience sectorielles et intersectorielles qui devront évoluer à mesure de la progression rapide des technologies en cours sur le Web. La Commission recommande donc de poursuivre la réflexion au sujet de ce nouveau champ des rapports sociaux et de s’intéresser à ces moyens naturels et quotidiens de communication pour les jeunes d’aujourd’hui. La fracture numérique est aussi générationnelle. Le recours aux nouvelles technologies et aux nouveaux moyens de communication peut pourtant être un atout dans les interventions socio-éducatives à condition d’en faire un usage réfléchi.

 

Le service à la base de cette demande d’avis évoque, à juste titre selon la Commission, l’objectif d’éducation aux médias. Celui-ci doit, en effet, apparaître comme central pour trouver une voie entre les discours diabolisant les outils de communication et la réalité de leur usage massif par les jeunes. En effet, ce n’est que par l’explication, l’éducation et la formation que les jeunes peuvent apprendre à gérer notamment les avantages et les risques inhérents à de telles pratiques et, par-là, apprendre à gérer leur image publique « tout en sachant que la toile n’est pas un espace anodin et de non-droit »[4]. Les travailleurs sociaux devraient encore être attentifs à la fracture culturelle dans l’usage de cet outil : «  (…) l’usage d’internet est différencié en fonction du niveau d’études. Plus les jeunes sont inscrits dans des cursus scolaires généraux, non techniques, non professionnels, plus ils utilisent le Web pour chercher de l’information, la confronter, ils sont friands de sites alternatifs, lisent les journaux (…). »[5]. Il importe donc que les changements évoqués conduisent à intégrer des objectifs d’éducation aux médias dans les pratiques du travail social : « (…) les aider à apprivoiser leur environnement d’aujourd’hui pour qu’ils soient des adultes citoyens en capacité de faire des choix raisonnés. N’est-ce pas une raison d’être des travailleurs sociaux ? »[6].

 

3. Quant à la question de savoir dans quelles conditions il est possible pour une association d’aide aux jeunes d’être présente sur un réseau tel que Facebook tout en garantissant le respect du secret professionnel, la Commission souhaite, tout d’abord, rappeler l’article 7 du Code de déontologie :

« Sans préjudice des dispositions prévues à l'article 12, tout renseignement de nature personnelle, médicale, familiale, scolaire, professionnelle, sociale, économique, ethnique, religieuse, philosophique, relatif à un bénéficiaire de l'aide ne peut être divulgué. Il ne peut être transmis qu'à des personnes tenues au secret professionnel, si cette communication est rendue nécessaire par les objectifs de l'aide dispensée et si elle est portée préalablement à la connaissance du bénéficiaire et, s'il échet, de ses représentants légaux.

L'identité des intervenants qui sont détenteurs de renseignements de nature personnelle au sujet d'un bénéficiaire doit être portée à la connaissance de celui-ci et, s'il échet, de ses représentants légaux (…) ».

Au regard de cet article et dans la perspective explicitée ci-avant, la Commission est d’avis que :

i) la question du secret professionnel ne se pose pas dès lors que l’association utilise un réseau social dans le cadre de ses activités collectives en vue de promouvoir ces activités, événements, projets et informations publiques. En effet, chercher à promouvoir les actions à destination des jeunes en se rapprochant de là où ils se trouvent ne touche pas à la relation de confiance interpersonnelle qui lie celui qui bénéficie de l'aide et celui qui l’apporte ou contribue à sa mise en œuvre, relation qui, elle, se doit d’être protégée par le secret professionnel.

ii) la question du secret professionnel se pose donc, par contre, dans le cadre des demandes et des suivis individuels des jeunes sur la toile. Pour ce champ d’action, la Commission recommande à l’association de le mettre en œuvre par le biais des moyens de communication plus traditionnels voire, tout au plus, par l’échange de messages individualisés et masqués sur le réseau. En effet, en aucun cas ni le contenu de ces rapports ni les informations personnelles du jeune concerné ne peuvent être accessibles à des tiers et être divulgués « publiquement » sur le réseau.

Concrètement, la Commission pense qu’il est préférable pour une association d’aide aux jeunes d’ouvrir un groupe ou un événement sur Facebook et non un « profil » car le « groupe » réunit des personnes qui partagent un intérêt commun. En ce sens, le « groupe » présente une dimension collective tandis qu’un « profil » est personnel. En utilisant un « groupe », une association s’inscrit donc davantage dans un objectif de diffusion d’informations générales que d’échanges interindividuels. Afin de renforcer cette différence entre activités collectives et demandes individuelles, la Commission préconise d’indiquer clairement sur la « page » du « groupe » que le contenu des échanges « postés » ne peut concerner que les informations et les activités générales de l’association. Le message d’avertissement doit donc insister sur le fait que les demandes individuelles ne peuvent en aucun cas se faire par « murs » interposés. Il s’agit d’inviter les demandeurs potentiels à prendre contact avec l’association par téléphone, courriel ou rendez-vous, en mentionnant de manière précise les coordonnées et les modalités d’accès. Suivant sa position sur le sujet, l’association peut comprendre et préciser, dans ses modalités de contacts personnels, l’envoi de « messages » individualisés et masqués via sa « page ».

Techniquement, un « groupe » doit être géré par un ou plusieurs « administrateurs ». La Commission préconise aux « administrateurs » de différencier leur « profil » professionnel de leur « profil » personnel et d’utiliser le premier pour administrer le « groupe » de l’association sans afficher les données personnelles qu’ils partagent sur leur « profil » privé. Par ailleurs, il importe, selon la Commission, que les administrateurs procèdent à une vérification très régulière de la page du groupe afin d’effacer rapidement tout contenu problématique, notamment au regard de la question du secret professionnel (cfr. ci-dessus), susceptible d’être « publié » et visible par tous. La Commission recommande encore de faire usage de tous les « verrous » techniques mis à disposition par le réseau pour l’exploitation des « murs ».

 

4. Enfin, concernant la question de savoir dans quelle mesure un intervenant peut être « ami » sur Facebook avec des jeunes avec lesquels il est en relation professionnelle, la Commission partage les craintes de l’association à la base de cet avis en ce que cette situation permettrait à l’intervenant et aux jeunes de pénétrer leurs vies « privées » respectives et, pour le premier, d’exercer un contrôle sur celle des jeunes. Si cette question peut relever de choix personnels et individuels liés à la vie privée, la Commission tient à rappeler l’article 13 du Code de déontologie qui stipule que «  l’intervenant ne peut exercer à l’égard d’un même bénéficiaire de l’aide plusieurs fonctions liées à l’octroi, au refus d’octroi ou à la mise en œuvre de l’aide ». La Commission déconseille donc ce genre d’« amitié » même virtuelle dans la mesure où l’intervention professionnelle et les liens privés lui paraissent incompatibles.

 

Toutefois, si l’association fait le choix d’étendre son champ d’action individualisée sur les réseaux sociaux comme Facebook, la Commission préconise, aux intervenants concernés de différencier, comme les « administrateurs », leurs « profils » en un « profil » personnel et un « profil » professionnel. Ce « profil » professionnel leur permettrait, le cas échéant, de communiquer avec les jeunes par « messages » interposés (individualisés et masqués) tout en refusant de devenir « amis » avec eux et donc d’accéder aux données personnelles de ces derniers. Ce « refus » se doit, bien entendu, d’être explicité clairement aux jeunes.

 

 

 

 

Le présent avis a été rendu lors de la séance du 18 avril 2012 de la présente Commission.



[1] C. Matuszak, « État de la recherche. Culture médiatique des adolescents », Les Cahiers Dynamiques, 2010/2 n° 47, p. 50.

[2] Ibidem.

[3] Ibidem.

[4] E. Delcroix, « Médias sociaux et évolution de la vie privée », Les Cahiers Dynamiques, 2010/2 n° 47, p. 101. .

[5] A. Jenny, « Travail social, lien social et Internet », Empan, 2009/4 n° 76, p. 97.

[6] Ibidem, p. 99.

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