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Avis 94/08

Demande d’avis de la Commission de déontologie d’un service agréé du secteur de l’aide à la jeunesse

Par courrier ordinaire du 13 août 2008, un service agréé du secteur de l’aide à la jeunesse a posé une question libellée comme suit à la Commission :

"Nous sommes devant des considérations éthiques et déontologiques pour lesquelles nous vous demandons éclairage.

Dans le cadre d'un mandat du TJ  auprès de notre service, nous avons effectué une mission de guidance sur mandat pour une enfant de trois ans vivant seule avec sa maman. Cette mission s'est clôturée en aidant la maman à placer sa fille en pouponnière car objectivement les difficultés de la mère étaient telles, qu'elle ne pouvait plus assurer les conditions fixées par le Juge (fréquentation scolaire, etc…).

Peu après le placement, la pouponnière nous informe que la petite a fait des allégations d'attouchements de la part de sa maman.

La maman reste injoignable et ne se présente qu'à l'audience de cabinet où notre mandat est levé le jour même et le placement confirmé. La maman nie la teneur des faits qui sont évoqués et menace la direction de la pouponnière de procédure en diffamation.

Quelques semaines après, dans la pouponnière et en présence de la psychologue, nous avons été expliquer à cet enfant que la Juge avait décidé que notre travail était terminé.

Comme à chaque fin de mission, nous lui avons proposé de remplir un questionnaire (qui est un outil de travail en terme d'évaluation et de feedback de l'intervention) qui comporte notamment la réalisation d’un dessin.

Spontanément, la petite met en scène, sur son dessin, l'attouchement de sa maman sur elle et le commentera sans qu'aucune question n'ait été induite par des adultes présents.

La psychologue (de la pouponnière, présente à l'interview de l'enfant, ndlr) demandera à avoir copie de ce dessin et nous accepterons, considérant le contexte de l'entretien, sa présence, son mandat et l'intérêt supérieur de pouvoir exploiter cette information dans le cadre de la prise en charge de l'enfant.

Nous sommes contactés par la police dans le cadre d'un réquisitoire qualifié très urgent du Juge d'instruction en vue d'auditionner le directeur du service et de prendre possession du dessin.

Nous apprenons par la Juge de la Jeunesse que celle-ci a transmis au parquet Famille l'information sur les faits et le compte-rendu d'audience de cabinet. Le Parquet a transmis à la section Majeurs. Par ailleurs, la Juge a confirmé le placement et demandé une expertise auprès de SOS Enfants concernant les faits. Une audition vidéofilmée de la petite a déjà eu lieu. La maman est détenue.

La police est venue nous auditionner. Nous avons –poliment- refusé de transgresser le secret professionnel et de répondre aux questions relatives au travail de guidance. De même, nous avons refusé de donner le dessin sans avoir le feedback de l'instance qui ordonnait cette audition. La pression de la police était importante: on nous évoquera la saisie de dossiers, la probable venue de la Juge d'instruction, la mise sous scellés du service.

Quelques jours plus tard, la Juge est venue chez nous pour mettre les scellés et prendre le dessin mais, fortuitement, personne n'était présent à ce moment-là. Notre collègue qui ne connaissait pas bien la situation a immédiatement contacté la Juge d'instruction dès qu'elle a appris sa venue. Elle a également contacté un avocat afin d'y voir plus clair. Ce dernier lui a expliqué que nous n'avions pas le choix sinon que d'obtempérer face à un réquisitoire d'un Juge d'instruction.

La police nous a alors demandé si nous pouvions venir le déposer chez eux. Nous avons refusé estimant que c'était à eux de venir saisir. Ils sont donc venus le chercher.

Aujourd'hui nous nous posons différentes questions.

Quelles règles aurions-nous dû suivre pour transmettre ou non ce document? (pour lequel la police nous indique clairement qu'il permettrait d'être à charge ou à décharge de la mère?).

Il ne semble pas être question de stopper une maltraitance puisque l'enfant est placé et les contacts sont interdits avec la mère? La police évoquait l'éventualité d'un non lieu et "qu'en serait-il alors si la maman perpétuait d'éventuels abus sur la petite puisqu'elle pourrait alors reprendre contact?"…

A-t-on commis une infraction?

Quelles consignes relayer à l'ensemble des membres du service dans le futur?"

La Commission a entendu les représentants du service. Leurs déclarations ont confirmé la teneur de leur lettre, et n'ont pas apporté d'éléments nouveaux.

La Commission est d'avis que cette situation ressort plus de l'application des principes juridiques liés au secret professionnel qu'à la déontologie. Toutefois, le respect du secret professionnel étant également un des principes fondamentaux du Code de déontologie, il est utile de rappeler les règles à respecter dans les contacts entre, d'une part, les intervenants liés au secret professionnel et, d'autre part, la police et les autorités judiciaires.

1.         Le secret professionnel est une obligation de se taire qui s'impose à tous les intervenants en matière d'aide à la jeunesse. Cette obligation de se taire s'impose même à l'égard de la police et des autorités judiciaires.

Toutefois, il existe des exceptions qui pourront parfois conduire l'intervenant tenu au secret professionnel à révéler des informations à la police ou aux autorités judiciaires. Ces exceptions peuvent être résumées comme suit :

-          Les cas où la loi ferait expressément obligation à l'intervenant de rapporter telle information précise à l'autorité qu'elle indique (exception prévue par l'article 458 du Code pénal);

-          Le témoignage en justice lors duquel le professionnel a la faculté de révéler ce qui est couvert par le secret professionnel sans encourir de sanction pénale (exception prévue par l'article 458 du Code pénal); Le témoignage en justice suppose que l'intervenant ait préalablement prêté serment avant de déposer, ce qui a pour conséquence qu'une audition par la police ou par un magistrat du parquet ne constitue pas un témoignage en justice et, donc, que l'intervenant n'a pas la faculté de révéler à ceux-ci ce qui est couvert par le secret professionnel[1].

-          L'état de nécessité (exception jurisprudentielle dont l'art. 458bis du Code pénal est une application). Lorsqu'une personne est en danger et que l'intervenant viole le secret professionnel pour aider la personne en danger, l'infraction de violation du secret professionnel est établie mais ne peut pas être sanctionnée pénalement en raison de la cause de justification que constitue l'état de nécessité.

En matière de secret professionnel, pour que l'état de nécessité constitue une cause de justification, trois conditions doivent être remplies :

*          Une valeur essentielle doit être mise en danger (p. ex. la vie, l'intégrité physique, psychique ou sexuelle, etc.);

*          Le danger doit être grave, imminent et certain;

*          Il ne doit pas y avoir d'autre moyen que la violation, par l'intervenant, de son obligation de se taire dans le but de mettre fin au péril auquel est exposée la valeur à protéger.

L'état de nécessité peut, par ailleurs, avoir pour conséquence qu'une situation soit constitutive pour l'intervenant d'une obligation de porter secours à une personne en danger (art. 422bis du Code pénal), ce qui le contraint alors de révéler ce qui est couvert par le secret professionnel pour remplir son obligation.

Lorsque l'intervenant n'est pas dans une de ces situations d'exception, il doit garder le silence.

2.         Dans l'hypothèse où il est mandaté par une autorité judiciaire (tribunal de la jeunesse) ou administrative (conseiller ou directeur de l'aide à la jeunesse), l'intervenant doit transmettre toutes les informations qu'il a recueillies dans l'exercice de son mandat qui ont trait à l'exercice de la mission qui lui a été confiée.

            A cette fin, l'obligation de loyauté qui préside à toute relation d'intervention en matière d'aide à la jeunesse contraint l'intervenant à informer les personnes qui se confient à lui (et pas seulement les bénéficiaires de l'aide ou de l'intervention), préalablement à tout entretien, des autorités à qui les propos recueillis seront transmis et ce que celles-ci peuvent en faire.

            L'intervenant doit, par ailleurs, régulièrement rappeler aux bénéficiaires le sort qui peut être réservé à leurs propos de manière à ce que ceux-ci soient bien conscients du contexte dans lequel ils se confient à lui car souvent les effets de la mise en garde initiale s'estompent avec le temps ou la confiance croissante.

3.         En l'espèce, le service intervenait dans le cadre d'un mandat qui lui était confié par un juge de la jeunesse. 

            Pour rappel, le juge de la jeunesse a l'obligation de transmettre au parquet tout indice d'infraction dont il aurait connaissance. C'est ce qu'il a fait en communiquant au Procureur du Roi les informations transmises par la pouponnière et les éléments recueillis lors de l'entretien qui s'est tenu en son cabinet.

            Par ailleurs, le service n'était pas dans une situation d'exception autorisant ses membres à dévoiler ce qu'il devait taire en vertu de leur obligation au secret professionnel :

-          L'invitation d'un policier à faire une déclaration ou à remettre un document ne s'assimile pas à un ordre de la loi;

-          Il n'était pas dans l'hypothèse d'un témoignage en justice puisque, notamment, ses membres ne s'exprimaient pas devant un magistrat devant qui ils auraient préalablement prêté serment;

-          Il n'y avait pas d'état de nécessité puisque les autorités policières et judiciaires avaient déjà connaissance de l'état de danger et possédait déjà la copie du dessin de l'enfant transmise par la pouponnière.

L'attitude adoptée par la service à l'égard de la demande des policiers était donc conforme aux principes applicables en la matière.

4.         L'hypothèse de la perquisition et de la saisie est différente de la déclaration faite spontanément ou sur demande par l'intervenant.

           Les intervenants ne peuvent pas s'opposer à une perquisition. Ils ne peuvent pas s'opposer non plus à une saisie.

            Toutefois, lorsque la perquisition ou la saisie concerne des documents couverts par le secret professionnel, l'intervenant a une obligation déontologique de le signaler au juge d'instruction ou à la police. Si ceux-ci refusent de le prendre en considération, il y a lieu pour l'intervenant de le signaler dans son audition ou, à défaut d'audition, par un écrit adressé au magistrat instructeur ou au procureur du Roi.

            Généralement, lorsque l'intervenant invoque le secret professionnel, le juge d'instruction ou la police saisit le document et le place dans une enveloppe sous scellés.

            Le juge d'instruction, puis toutes les autres juridictions d'instruction et de jugement, sont seuls compétents pour décider, in fine, si les documents saisis sont ou non couverts par le secret professionnel. Cette décision n'appartient pas à l'intervenant.

            Il faut également relever que si le document est remis spontanément au juge d'instruction par l'intervenant, même lors d'une perquisition, il ne s'agit pas d'une saisie mais d'un témoignage en justice. Dans ce cas, le magistrat procède généralement à une audition sous serment de l'intervenant lors de laquelle celui-ci lui remet le document de manière à ce que ce dernier ne puisse pas faire l'objet de sanctions pénales.

5.         Pour de nombreuses professions tenues au secret professionnel (avocat, médecin, etc.), le juge d'instruction se fait accompagner d'un représentant des autorités ordinales lors des perquisitions et des saisies.

            Ce représentant a notamment pour mission d'examiner les documents avant qu'ils ne soient saisis et d'indiquer au juge d'instruction et aux policiers si ceux-ci sont ou non couverts pas le secret professionnel.

            Même si, selon l'avis de ce représentant, les documents sont couverts par le secret professionnel, le juge d'instruction peut prendre le risque de les saisir. Généralement, il les place alors dans une enveloppe scellée de manière à ce que, le temps venu, la juridiction compétente puisse trancher la question.

            Si la saisie a lieu hors la présence d'un représentant, le magistrat instructeur peut en cas de doute placer les documents saisis dans une enveloppe scellée et faire examiner ultérieurement le contenu de celle-ci par le représentant de la profession.

            La Commission est d'avis qu'il serait opportun que le Gouvernement de la Communauté française, le Ministre ayant l'aide à la jeunesse dans ses attributions ou la Direction générale de l'aide à la jeunesse désigne une ou plusieurs personnes, extérieures aux services de terrain, qui pourraient assister les juges d'instruction en matière de secret professionnel dans le secteur de l'aide à la jeunesse.

            Ces personnes seraient disponibles pour assister les juges d'instruction et la police en cas de perquisition.

            Elles pourraient également être sollicitées pour donner un avis sur le point de savoir si des documents saisis et mis sous scellés sont ou non couverts par le secret professionnel.

            Les coordonnées de ces personnes seraient communiquées par la Communauté française aux autorités judiciaires. Eventuellement, un protocole d'accord pourrait être convenu avec celles-ci quant aux modalités d'intervention de ces personnes.

            La désignation de telles personnes est de nature à renforcer, au sein du secteur, la garantie d'une obligation au secret professionnel adéquatement exercée par les intervenants tout en veillant à ce que le secret professionnel ne soit pas détourné de ses objectifs par ceux qui y sont tenus.

6.         Compte tenu de la nature de la situation à la base de la question qui lui est posée, la Commission tient également à rappeler les principes qui doivent présider à l'action des intervenants pour y faire face.

En effet, le dessin effectué par l'enfant informe l'intervenant d'une situation de danger. Dans ce cas, conformément à l'article 11 du Code de déontologie, confronté à une situation susceptible de compromettre gravement la santé, la sécurité ou les conditions d'éducation d'un jeune et qu'il estime ne pouvoir assumer valablement, il a le devoir d'en référer à d'autres intervenants dont l'action serait plus appropriée ou s'il échet aux autorités compétentes. L'intervenant est tenu d'en informer le bénéficiaire (dans le même sens, voy les avis 70, 71, 81, 82, 90, pour les plus récents). L'article 12, al. 5 du Code rappelle qu'une telle situation constitue un état de nécessité qui autorise l'intervenant à violer son obligation de respecter le secret professionnel : Dans l'impossibilité d'agir personnellement pour défendre les intérêts ou la sécurité du bénéficiaire de l'aide, de sa famille ou de tiers gravement menacés, l'intervenant peut invoquer l'état de nécessité pour transmettre aux autorités compétentes les informations nécessaires.

            Il faut tout d'abord rappeler que lorsque, comme en l'espèce, des intervenants prennent en charge une situation relative à une enfant de trois ans les bénéficiaires de l'aide sont tant l'enfant que sa mère. Le service intervient prioritairement dans le cadre de la relation qui unit l'enfant à sa mère et, ainsi, en cherchant à améliorer la qualité de cette relation, recherche le meilleur intérêt de l'enfant.

Dans le cas d'espèce, l'enfant étant confié à la pouponnière lorsqu'elle révèle les faits d'attouchements, ce dernier service est responsable du traitement à réserver à la situation : soit gérer lui-même le problème; soit en référer à des personnes plus compétentes pour apporter une aide. Dans cette dernière hypothèse, la pouponnière doit, pour autant que ce soit possible, en informer l'enfant (dans une approche et un langage adaptés et soutenants) et la mère.

            A cet égard, la Commission tient à souligner que même dans les situations graves, les principes de l'article 2 du Code déontologie sont d'application et restent prioritaires : l'intervenant recherche les solutions les plus épanouissantes pour le bénéficiaire. Il veille, dans toute la mesure du possible, si les droits et l'intérêt du jeune ne s'y opposent pas, à maintenir la cohésion de la famille (…). Les intervenants veillent à proposer la solution qui a la meilleure chance de succès. Ils ont le devoir d'envisager la solution la plus adaptée et la plus accessible au jeune et s'il échet à sa famille.

            Ce n'est que dans un second temps, si l'intervenant a atteint ses limites et que cette situation s'avère nuisible pour le bénéficiaire que, conformément à l'article 11 du Code, il peut faire appel à d'autres professionnels ou autorités compétentes.

            Enfin, il faut rappeler que si un bénéficiaire de l'aide demande à l'intervenant de l'aider à porter des faits à la connaissance d'un service ou d'une autorité, il est tenu de lui apporter cette assistance pour autant qu'elle constitue une aide appropriée. Dans ce cas, l'intervenant ne viole pas son obligation au secret professionnel puisqu'il remplit sa mission d'aide. Au contraire, un refus de déférer à la demande du bénéficiaire de l'aide pourrait, le cas échéant, constituer une abstention de porter secours à une personne en danger.

            Par contre, si le bénéficiaire informe l'intervenant d'une situation de danger mais qu'il refuse que ce dernier fasse appel à un service plus compétent ou qu'il dévoile les faits à l'autorité, il faut envisager deux hypothèses distinctes :

-          Soit la situation de danger est grave, actuelle et certaine. Dans ce cas, la situation constitue un état de nécessité. L'intervenant pourra, s'il l'estime nécessaire, dévoiler la situation et faire appel aux services susceptibles d'aider le mineur en situation de péril grave s'il ne peut y mettre fin par sa seule intervention.

-          Soit la situation de danger n'est pas grave, actuelle ou certaine (p. ex. les faits sont passés et il n'y a pas de possibilité qu'ils se reproduisent). Dans ce cas, l'intervenant ne peut pas dévoiler ce qui est couvert par le secret professionnel.

Le présent avis a été rendu lors de la séance du 1er juillet 2009 de la présente Commission.

Il a été communiqué le 15 juillet 2009 à la partie demanderesse.

 

 


[1]        On assimile à la déclaration faite à un juge d'instruction la déclaration écrite par l'intervenant fait sur réquisitoire écrit du juge d'instruction (et non du parquet) transmis par la police. Dans ce cas, l'intervenant doit se faire présenter l'apostille du juge d'instruction (voy. H. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, 5e ed., Bruges, La Charte, 2008, p. 729 et les décisions de la Cour de cassation qui sont citées). Une pratique consiste également pour le juge d'instruction à demander à l'intervenant de réaliser un rapport écrit avec ce qu'il veut dire puis à l'entendre sous serment, l'audition consistant seulement à acter le dépôt de l'écrit qui entre ainsi dans le champ de l'exception.

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