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Aide à la jeunesse

Avis 90/08

Demande d’avis émanant de deux professionnels du secteur de l’aide à la jeunesse

La commission reçoit les deux demandes suivantes. Ces demandes concernent en fait quatre situations où se pose la question du secret professionnel.

« Je travaille dans une institution spécialisée de l’aide à la jeunesse. J’y travaille en tant qu’infirmière sociale. Je sais que je dois respecter le secret professionnel au niveau médical.

Néanmoins, notre équipe travaille en secret professionnel partagé.

J’ai deux cas à vous exposer :

Si une jeune fille souhaite avorter et qu’elle me demande avec beaucoup d’insistance de ne rien dire aux autres membres de l’équipe, que dois-je faire ? Je sais que les éducateurs vont vivre avec elle et qu’ils pourront la soutenir. Mais est-ce que je ne trahis pas la confiance de la jeune fille qui se confie à moi en tant que professionnel de la santé, si j’informe les autres membres sans son accord ? Est-ce que je ne trahis pas mon code de déontologie propre aux infirmières ?
(situation 1)

Je découvre avec le médecin du centre lors de la prise de sang d’admission qu’un jeune serait séropositif. Dois je en informer l’équipe si le patient ne veut absolument pas le dire ? Est-ce que ma direction pourrait m’accuser de manquement à mon devoir si je ne dévoile pas l’information ?

Pouvez-vous me donner des extraits de texte de loi (ou des références) qui justifient vos réponses car cela me permet d’être clair par rapport à mes collègues. Nous nous posons ce genre de questions depuis un certain temps et je ne sais pas encore quelle attitude adopter, ce n’est jamais clair. Respecter la demande du jeune ou travailler dans le secret professionnel partager car imposé par la direction »
(situation 2) 

La deuxième demande émane d’une avocate :

« Par la présente, en ma qualité de membre de la section spécialisée en protection de la jeunesse d’un Bureau d’Aide juridique, et plus spécialement, en ma qualité de conseil d’un mineur de 16 ans suivi par le Tribunal de la jeunesse, je souhaiterais vous poser la question suivante :

Les membres de l’équipe d’une IPPJ – section orientation mandatés par le Tribunal de la jeunesse afin de construire un projet d’autonomie ou de semi-autonomie avec le jeune violent-ils leur secret professionnel tel que prévu à l’article 12 du code de déontologie en révélant la situation médicale du jeune porteur du virus HIV à une institution de préparation à l’autonomie pressentie pour accueillir le jeune à sa sortie d’IPPJ et ce, contre la volonté du jeune et en tout état de cause sans l’en informer préalablement ?
(situation 3) 

De même, l’intervenant membre de l’institution de préparation à l’autonomie viole-t-il son secret professionnel en révélant à la déléguée du Service de protection judiciaire la future paternité du mineur révélée confidentiellement à l’intervenant et ce, contre la volonté du mineur et en tout état de cause sans l’en informer préalablement ? 
(situation 4)

Plus généralement, dans quelle mesure est-ce que les intervenants mandatés par le Tribunal de la jeunesse doivent-ils être informés – que ce soit par la déléguée du SPJ ou d’autres intervenants de la situation médicale du mineur alors même que celui-ci s’oppose à cette divulgation ? »

Les questions relèvent à la fois du secret professionnel tel que défini à l’article 458 du code pénal et de l’article 7 du code de déontologie de l’aide à la jeunesse.

La loi et la déontologie vont dans le même sens, ce qui a été discuté dans de nombreuses publications sur le sujet (voir par exemple, « Secret professionnel, protection de la vie privée et communication d’information entre acteurs de la protection de la jeunesse » L. NOUWYNCKX et P. RANS).

L’avis 11 (1999) de la Commission (un jeune, bénéficiaire de l’aide dans une institution, confie au psychologue de cette dernière son homosexualité, en lui demandant de ne pas en parler au reste de l’équipe) traite également de cette question.

La base de l’obligation du secret professionnel, c’est de permettre à certains professionnels de garantir la confidentialité du contenu des entretiens et du travail effectué (article 458 du Code pénal).

Pour ces mêmes raisons, l’article 12 du code de déontologie prévoit que « les intervenants sont tenus de respecter le secret professionnel. Ce respect doit être compris comme étant une obligation contractée à l’égard du bénéficiaire de l’aide garantissant la confiance que ce dernier doit pouvoir trouver auprès des intervenants et des services ».

Le code pénal ou le code de déontologie vont dans le même sens : il s’agit d’une obligation individuelle de l’intervenant.

Cette question de confidentialité est particulièrement critique pour certains intervenants, tels les médecins et les infirmières (mais également les psychologues). La Cour de Cassation a deux arrêts éclairants à ce sujet.

« Lorsque les professionnels travaillent en qualité de médecin, de psychologue, d’assistant social, d’infirmier dans le cadre judiciaire ou parajudiciaire, ils restent tenus au respect des règles déontologiques propres à leur profession (Cass. 29 mai 1986, J. Tribunaux 1986, p.331 et « La position des différents intervenants psychomédicosociaux face au secret professionnel dans le travail avec les justiciables », L. NOUWYNCKX, Revue de droit pénal et de criminologie, janvier 2001, p.3)

« Cette règle repose sur la nécessité d’assurer une entière sécurité à ceux qui doivent se confier à eux (= les soignants) et de permettre à chacun d’obtenir les soins qu’exige son état, quelle qu’en soit la cause » (Cassation, 16 décembre 1992, Pas, 1992, I, p.1390).

Cependant, il y a certaines situations, décrites dans l’article 458 et 459 du code pénal où il y a obligation de divulguer certains éléments convertis par le secret professionnel. Il en va de même dans les codes de  déontologie de différentes disciplines (cfr articles 56 et 57 du code de déontologie médicale ou l’article 15 § 3 du code de déontologie de l’aide à la jeunesse).

Le code de déontologie prévoit dans quelles conditions une information confidentielle peut être transmise à d’autres intervenants (article 7 § 1) :

  1. Que les autres intervenants soient tenus au secret
  2. Que la transmission d’information soit pertinente pour l’aide apportée
  3. Que le bénéficiaire soit informé de la transmission de l’information.

Ce point 3 signifie que le bénéficiaire doit être informé de l’objet de l’information et des personnes à qui cette information sera transmise. L’objectif est d’obtenir le consentement du jeune.

Dans les situations soumises, ces conditions sont remplies. Déontologiquement, la transmission des données couvertes par le secret professionnel serait dont permis.

Cependant, comme développé dans l’avis 11 (1999), la Commission de déontologie a rappelé les arrêts de la Cour de Cassation cité supra, l’obligation du respect du secret professionnel tel que défini par l’article 458 du Code pénal, prime sur les obligations définies par le code de déontologie ; en conséquence, si le bénéficiaire de l’aide refuse que l’intervenant, tenu au secret professionnel, transmette une information à d’autres intervenants, l’intervenant confident est tenu de respecter le secret.

Il y a une éventuelle autre condition pour divulguer la connaissance d’un fait couvert par le secret professionnel : l’état de nécessité.

Cette notion est à la fois simple et floue. Simple car il s’agit de la conviction intime de l’intervenant que la divulgation est nécessaire pour faire cesser un état de danger grave pour le bénéficiaire ou pour des tiers. Floue, car il n’y a pas de critères objectifs qui permettent d’apprécier la limite de ce « danger grave ».

Dans les situations évoquées, la commission estime que la première obligation pour l’intervenant est, dans une relation de confiance « ferme et bienveillante », de tenter d’obtenir l’accord du bénéficiaire pour transmettre l’information aux autres intervenants.

Si cet accord n’est pas obtenu, il y a obligation pour l’intervenant de se taire. C’est ce qui apparait dans la situation 1 (la demande d’aide pour un avortement adressée à l’infirmière) et la situation 3 (le jeune porteur du HIV et le service de mise en autonomie).

Pour la situation 4 (paternité), la question est quelque peu plus complexe, dans la mesure où « la déléguée SPJ » représente l’autorité mandante. Or, dans le cadre du mandat, l’intervenant doit transmettre à l’autorité mandante toute l’information pertinente nécessaire à l’exécution de la mission de cette autorité. L’intervenant doit donc apprécier si l’information concernant la paternité doit être apportée au juge et/ou au délégué, mais ne peut se retrancher derrière l’obligation du secret. Ceci rappelle la nécessité d’être au clair dès le départ du travail avec le bénéficiaire sur la transmission des informations.

L’obligation faite par une direction d’imposer le secret professionnel partagé comme une obligation à divulguer toute confidence est anti-déontologique et illégale. Le secret professionnel partagé, c’est l’obligation de garder le secret sur ce qui est partagé, et non l’obligation de partager les confidences et le secret.

Pour la situation 2, on est dans une situation limite d’état de nécessité. Théoriquement, la confidentialité de l’information reste une obligation. Cependant, une bonne pratique relationnelle avec le jeune devrait amener le jeune à comprendre et à accepter la transmission. Si le patient/ bénéficiaire refuse, il faudra apprécier si le comportement du bénéficiaire est un comportement « à risque » pour la contamination d’autres bénéficiaires ou des intervenants. Si c’est le cas, l’article 12 § 6 prévoit que s’il ne peut agir personnellement pour défendre les intérêts ou la sécurité du bénéficiaire de l’aide, de sa famille ou de tiers, l’intervenant peut invoquer l’état de nécessité pour transmettre aux autorités compétentes (ici, la direction de l’institution par exemple) les informations nécessaires. Ceci dit, la question telle que posée renvoie à la responsabilité du médecin traitant avant celle de l’infirmière. Cependant, si le médecin refuse la transmission de l’information, l’infirmière reste, dans un deuxième temps, responsable de la décision à prendre de transmettre ou non l’information à l’équipe.

Enfin, en ce qui concerne le droit des patients, rappelons que les soignants doivent considérer que ce sont les parents qui doivent donner leur accord pour tout acte médical ou traitement, de même que pour la transmission des informations. Le mineur n’a cette responsabilité que si le soignant estime qu’il a la capacité de discernement.

 

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