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Aide à la jeunesse

Avis 65/05

Demande d’avis d’un CPAS

Par courriel du 24 octobre 2005, un service jeunesse d'un C.P.A.S. a introduit une demande d'avis formulée comme suit :

« J’aimerais avoir l’avis de la commission que vous présidez sur le problème suivant.

Depuis juin 2005, le service que je dirige, le service jeunesse du CPAS (…), reçoit régulièrement des demandes de familles d’enfants suivis par le SAJ ou le Tribunal de la jeunesse.

Ces familles nous sont envoyées par des délégués de SAJ ou de SPJ  afin d’introduire auprès de notre CPAS une demande de refus d’aide afin que la Communauté française puisse payer certains petits frais complémentaires de placement (en cas de placement mandaté) ou bien les frais appelés par l’administration de l’aide à la jeunesse « nature 07 » (dans les situations où il n’y a pas de mandat retirant le jeune de son milieu de vie familial naturel).

Ce qui nous étonne ce n’est pas que les SAJ ou les SPJ conseillent à la famille de demander l’intervention du CPAS pour une mesure décidée par un mandant de l’aide à la jeunesse mais bien qu’ils conseillent de demander un refus d’aide.

Ces pratiques sont de notoriété publique, au point qu’un SAJ (…) possède des formulaires préimprimés de refus d’aide à faire remplir par le CPAS.

Pour mon service, cela pose deux questions.

1. L’envoi d’une famille pour faire au nom de l’enfant une demande de refus, et ce de façon indiscriminée pour tout frais complémentaire au placement et pour tout frais de nature 07, ne constitue-t-il pas une forme d’instrumentalisation des personnes visant à transformer les jeunes et leurs familles en objets de tracasseries administratives, en opposition au décret d’aide à la jeunesse qui pose le jeune, dans une conception émancipatrice, comme sujet de droit ? 

2. Le fait que nous sommes en période de transition entre l’abrogation de l’ancien article 56 du décret relatif à l’aide à la jeunesse et le nouvel article 53, qui attend que soit défini « le contenu général de protocoles de collaborations particuliers à conclure entre les conseillers et directeurs de l’aide à la jeunesse et les centres publics d’action sociale », ne doit-il pas inciter plus que jamais les conseillers et directeurs de l’aide à la jeunessse à demander à leurs délégués de « travailler en collaboration » (art. 6 du code de déontologie) avec les travailleurs sociaux des CPAS, dans le « respect du rôle et des compétences de chacun des acteurs » (idem), respect qui « suppose une connaissance mutuelle des services » (idem) ? 

Notre CPAS a souscrit au vade-mecum CPAS-SAJ élaboré par le CAAJ de Bruxelles (voir copie en fichier attaché). Celui-ci est basé sur un encouragement à la négociation impliquant l’usager, le travailleur social CPAS et le délégué de façon à essayer de trouver autant que possible un consensus sur la répartition aide générale / aide spécialisée, dans le respect de l’intérêt de l’enfant, de la décision du mandant et des lois, notamment l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 30 juin 1998, fixant les limites des dépenses exposées en vue de l’aide individuelle, et la loi du 8 juillet 1976, organique des CPAS. Ce vade-mecum constitue un premier cadre pour élaborer le « protocole de collaboration » visé dans le nouvel article 53. 

Il nous semble que dans la période de transition que nous connaissons, envoyer systématiquement les familles faire un demande de refus revient à les instrumentaliser dans des conflits institutionnels. 

Par analogie avec une phrase du code de déontologie relative au secret professionnel, « en aucun cas il [le secret professionnel] ne peut servir à protéger l’intervenant lui-même » (art. 12), le délégué qui renvoie la famille chercher une notification de refus au CPAS – même si c’est sur injonction du Conseiller ou du Directeur, même si ces derniers agissent eux-mêmes à la rigueur sur injonction de la Direction générale de l’aide à la jeunesse, même si elle-même réagit le cas échéant à une injonction du Ministre ou à une remarque de la Cour des Comptes – ne cherche-t-il pas avant tout à se protéger lui-même au lieu de favoriser la collaboration qui « doit permettre la recherche de la solution la plus efficace, la plus simple » ? 

Qu’en pensez-vous ? »

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La commission ne dispose d'aucun élément objectif permettant de vérifier si la pratique à laquelle se réfère le demandeur d'avis peut, en réalité, être décrite dans les termes qu'il utilise. Par conséquent, la commission retient cette pratique comme "une hypothèse de travail" et le présent avis ne peut être tenu comme un élément attestant de l'existence de cette pratique.

Si effectivement le S.A.J. ou le S.P.J. adresse au C.P.A.S. des bénéficiaires d'aide dans le but de demander à ce dernier de formaliser un refus d'aide, une telle pratique semble regrettable et peu conforme au code de déontologie.

Sur le plan factuel, la commission observe que :

  • la démarche est inutile pour les bénéficiaires d'aide puisqu'elle vise à obtenir une décision dont le résultat est connu par avance ;
  • aller demander "un refus d'aide" est un non-sens pour des personnes en difficulté ou en danger. Ce type de démarche présente peu ou pas de chance de les aider à devenir acteur de la solution de leurs problèmes ;
  • la généralisation de la démarche à toutes les situations similaires démontre qu'une solution structurelle et institutionnelle pourrait être trouvée entre les instances compétentes, ce qui n'obligerait plus les demandeurs d'aide à de pareilles démarches individuelles.

Sur le plan des textes, la commission considère que, dans le chef du S.A.J., une telle pratique ne s'inscrit pas dans l'esprit de l'article 36, § 2, 2° qui dispose que le conseiller "seconde les intéressés dans l'accomplissement de leurs démarches en vue d'obtenir l'aide sollicitée". L'exigence d'un tel accompagnement devrait amener le conseiller à rechercher une solution avec le service concerné plutôt que de demander aux demandeurs d'aide d'accomplir seuls une démarche inutile.

La commission considère également que cette pratique ne respecte pas l'article 2 du code déontolongie qui dispose que :

"L'intervenant recherche les solutions les plus épanouissantes pour le bénéficiaire (…)

Les intervenants veillent à proposer la solution qui a la meilleure chance de succès.

Ils ont le devoir d'envisager la solution la plus adaptée et la plus accessible au jeune et s'il échet à sa famille.

Le bénéficiaire doit rester sujet de l'intervention".

Il n'est pas épanouissant pour les demandeurs d'aide, fusse pour des raisons administratives, d'être contraints, pour obtenir de l'aide auprès d'une instance d'aide à la jeunesse, de se rendre au C.P.A.S. pour demander un "refus d'aide". Si on veut bien se représenter l'abaissement que peut représenter, pour certains, le fait de devoir se rendre au C.P.A.S., il est évident que le caractère inutile de la démarche risque d'accentuer, chez ces personnes, le sentiment de honte et d'humiliation. 

Demander un "refus d'aide" ne constitue évidemment pas une solution d'aide qui présente une "chance de succès" pour résoudre la situation de difficulté ou de danger qui fait l'objet de l'intervention.

En réalité, la demande de "refus d'aide" ne se justifie que par des raisons administratives qui échappent généralement au demandeur d'aide. Dans ces conditions, elle ne constitue sans doute pas la solution qui lui est la plus adaptée. Dans un tel contexte, le demandeur ne reste sans doute plus non plus sujet de l'intervention.

La commission considère toutefois que le C.P.A.S., demandeur d'avis, a également une responsabilité dans la pratique dénoncée.

D'un côté, il n'est pas acquis que les demandes de "refus d'aide" doivent nécessairement être jugées fondées par le C.P.A.S. Sur la base de la législation relative à l'aide sociale, il pourrait  accorder ce qui fait l'objet de la demande de "refus d'aide". Ce serait peut-être même la solution la plus épanouissante puisqu'elle témoignerait de l'insertion du demandeur d'aide dans le circuit de l'aide générale dont chacun peut bénéficier plutôt que de le renvoyer dans le champ de l'aide spécialisée qui induit généralement un plus grand vécu de marginalisation, d'exclusion, de différentiation, de stigmatisation, d'étiquetage, etc.

D'un autre côté, le C.P.A.S. pourrait inciter les S.A.J. et les S.P.J. à rechercher ensemble une solution structurelle et institutionnelle pour éviter de telles démarches aux demandeurs d'aide, ce qui ne semble pas avoir été le cas jusqu'ici.

Une telle concertation semble pourtant s'imposer en raison de l'article 6 du code déontologie qui dispose notamment que :

"Les intervenants ont l'obligation, dans les limites du mandat de l'usager, du respect de la loi et du secret professionnel, de travailler en collaboration avec toute personne ou service appelé à traiter une même situation.

La collaboration entre les services d'aide à la jeunesse suppose une connaissance mutuelle des services, de leurs objectifs, de leur cadre réglementaire, de leurs compétences et spécificités, ainsi que des personnes travaillant dans ces services. Les intervenants sont dès lors tenus de développer cette connaissance par les contacts nécessaires en vue de favoriser la collaboration entre services.

La collaboration entre les services suppose la délimitation et le respect du rôle et des compétences de chacun des acteurs, ainsi qu'un échange d'informations. Cet échange doit s'effectuer avec la collaboration des personnes concernées, le jeune et sa famille demeurant au centre de l'action.

Les intervenants adoptent une attitude claire par rapport à la situation et aux autres intervenants. Ils ont le devoir de s'informer des actions déjà entreprises et de respecter les choix opérés par les intervenants précédents sans être nécessairement liés par ces choix pour l'avenir.

La collaboration entre les services et les intervenants doit permettre la recherche de la solution la plus efficace, la plus simple, et la plus proche des personnes concernées".

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