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Avis 61/05

Demande d’avis du délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant

Par courrier du 23 février 2005, le Délégué Général de la Communauté française aux droits de l'enfant a soumis la situation suivante à la commission.

Lors d'une réunion de la commission de concertation entre les magistrats de la jeunesse, le Ministère de la Justice et le Ministère de la Communauté française, les directions de certaines IPPJ auraient indiqué que lorsqu'un mineur placé au sein de leur institution confiait aux éducateurs avoir commis un fait qualifié infraction, soit dans le passé, soit lors d'un congé, elles en informaient le Procureur du Roi compétent.

La Direction du Centre fédéral fermé aurait indiqué que dans des situations similaires, elle en informait le Juge de la jeunesse compétent.

Le Délégué Général de la Communauté française aux droits de l'enfant interroge la commission pour savoir si ces pratiques sont respectueuses du secret professionnel auquel sont tenus ces intervenants.

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La commission relève notamment les éléments suivants :

  • les pratiques concernées sont le chef d’agent de la fonction publique ;
  • il s’agit de situations où les intervenants travaillent sous mandat ;
  • les faits dénoncés peuvent avoir été commis dans le passé ou durant la période de placement.

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I. LE RAPPEL DE QUELQUES PRINCIPES

1. La commission estime qu'il est opportun de rappeler quelques principes légaux et jurisprudentiels à propos du secret professionnel.

a. Le personnel employé par la Communauté française au sein de l'I.P.P.J. ou du Centre fédéral est tenu par le mandat dont l'institution est investie par l'autorité judiciaire qui lui confie le mineur.

Sur la notion de mandat dans le secteur de l'aide et de la protection de la jeunesse, la commission renvoie à l'avis 54/2003 qu'elle a rendu sur cette question.

Le personnel ainsi lié par le mandat comprend notamment la direction, les psychologues, les assistants sociaux, les éducateurs, les formateurs, le personnel enseignant, le personnel ouvrier, etc.

Par le fait qu'ils sont liés au mandat, tous les membres du personnel sont tenus au secret professionnel (voy. en ce sens, l'article 77 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse et l'article 57 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse).

Une exception peut exister dans le cadre des professions qui ont une dimension curative (médecins, psychiatres, psychologues). Si la fonction du professionnel consiste à apporter des soins aux mineurs, il n'est pas lié à la mission de l'institution. Dans ce cas, il est indépendant du reste du personnel. N'exerçant pas la même mission, il ne pourra pas non plus y avoir de secret professionnel partagé. Par contre, si la fonction du médecin, du psychiatre ou du psychologue consiste à apporter une assistance à la gestion du jeune au sein de l'institution, il participe à la mission qui fait l'objet du mandat. Dans ce cas, il est tenu aux mêmes règles que les autres membres du personnel de l'institution et il peut, notamment, y avoir place pour le secret professionnel partagé. Pour de plus amples détails sur cette distinction, la commission renvoie à son avis 53/2004 qui concernait la fonction d'un médecin psychiatre au sein d'un centre fermé.

b. L'administration centrale et la direction des établissements doivent veiller à ce que tous les membres du personnel soient informés des principes déontologiques liés à l'exercice de leur fonction et à ce qu'ils les mettent en œuvre.

c. Le secret professionnel est l'obligation légale de taire les confidences que l'intervenant reçoit en raison de sa profession. 

1) Sauf état de nécessité, l'intervenant ne peut pas dénoncer ce qui est couvert par le secret professionnel.

En vertu de la loi et de la jurisprudence, l'état de nécessité requiert que les trois conditions suivantes soient remplies (pour une illustration, voy. l'article 458 bis du code pénal) :

  • Une valeur au moins aussi importante que celles que le secret professionnel a pour fonction de garantir doit être menacée (note 1) ;
  • La menace doit consister en un danger grave, imminent et certain;
  • Il ne doit pas y avoir d'autres moyens de mettre fin au danger que de révéler ce qui est couvert par le secret professionnel

2) L'article 458 du  pénal dispose que l'intervenant ne commet pas d'infraction lorsqu'il révèle ce qui est couvert par le secret professionnel dans le cadre d'un témoignage en justice (note 2). L'intervenant n'est pas contraint de révéler ce qu'il sait, mais il est autorisé à le faire. Il peut cependant choisir de se taire.

Le témoignage en justice est le témoignage fait sous serment devant un magistrat d'instruction ou un magistrat du siège. Il ne s'agit pas de l'hypothèse de l'interrogatoire policier ou de l'interrogatoire par un magistrat du parquet. 

L'hypothèse du témoignage en justice ne correspond pas non plus à la dénonciation spontanée aux autorités policières ou judiciaires.

A cet égard, les agents de la fonction publique ne peuvent pas invoquer l'obligation de dénonciation imposée par l'article 29, al. 1er du code d'instruction criminelle pour justifier les révélations qu'ils feraient à propos de faits couverts par le secret professionnel (note 3). En effet, il a été jugé que l'obligation du secret professionnel dont la violation est sanctionnée par une peine primait sur cette obligation de dénonciation dont le non-respect ne fait l'objet d'aucune sanction (note 4).

Par conséquent, sauf le cas de l'état de nécessité, le secret professionnel ne doit pas céder devant l'intérêt de la répression des infractions.

d. Lorsqu'ils interviennent sous mandat, les professionnels du secteur psycho-médico-social restent tenus au secret professionnel.

Toutefois, il n'existe pas de secret à l'égard de l'autorité qui leur confie leur mission. Cette transparence s'explique par la nécessité pour l'autorité mandante d'être informée de la mission qu'elle a confiée pour exercer ses propres compétences. Mais cette transparence est assortie de deux garanties essentielles pour celui qui fait l'objet de l'intervention. D'une part, le mandant doit être lui-même tenu au secret professionnel. D'autre part, la transparence entre le mandant et le mandataire est limitée  à ce qui concerne la mission (note 5).

En outre, l'autorité mandante ne peut pas faire un autre usage des informations qui lui sont transmises que celui pour lequel elles ont été réunies. Ainsi, la Cour de cassation a récemment décidé que le parquet ne pouvait pas fonder des poursuites sur des informations recueillies dans l'exercice d'une mission d'investigation sociale dont il aurait connaissance par la consultation du dossier protectionnel d'un mineur. Elle précise notamment que "la nature de l'enquête psychosociale ou médicale ordonnée par le tribunal de la jeunesse, l'ingérence qu'elle implique dans la vie privée et familiale et la confidentialité que la loi lui assigne pour garantir la transmission d'une information complète à l'autorité mandante, ne permettent pas l'utilisation du rapport de cette enquête à des fins, quelles qu'elles soient, autres que celles pour lesquelles elle a été réalisée" (note 6). 

Toutefois, le professionnel doit se conduire de manière responsable et prudente. Il ne peut, en effet, ignorer que le parquet a accès au dossier protectionnel et que, même s'il ne peut fonder les poursuites sur les rapports transmis par les professionnels mandatés au tribunal de la jeunesse, il peut, par contre, apprendre ainsi l'existence du fait infractionnel et rechercher la preuve de celui-ci par d'autres voies.

2. Sur le plan déontologique, il se déduit, du travail sous mandat, une obligation de clarté et de loyauté dans le chef du professionnel. Il doit informer ceux qui font l'objet de l'intervention de ce qu'il rapportera tout ce qui concerne sa mission à l'autorité mandante.

Il convient que le professionnel soit d'autant plus attentif à cette obligation que son titre professionnel est souvent assimilé à une profession qui est soumise au secret professionnel à l'égard des autorités policière ou judiciaire. Il faut, en effet, éviter que le jeune ou sa famille ne se leurre et qu'il révèle à un professionnel du secteur psycho-médico-social mandaté par une autorité ce qu'il aurait tu dans une relation directe avec cette autorité.

Par conséquent, il appartient au professionnel, d'une part, d'indiquer clairement l'étendue de sa mission et, d'autre part, de rappeler son obligation de faire rapport lorsqu'il constate que les bénéficiaires de l'intervention se laissent aller à des confidences. 

Différents codes de déontologie rappellent ces obligations :

Article 123 du code de déontologie médicale

"Le médecin chargé d'une des missions prévues par l'article 119 doit préalablement faire connaître à l'intéressé en quelle qualité il agit et lui faire connaître sa mission.

L'expert judiciaire, en particulier, l'avertira qu'il est tenu de communiquer à l'autorité requérante tout ce qu'il lui confiera au sujet de sa mission".

Article 1.3.3. du code de déontologie de la Fédération belge des psychologues

"Si la relation professionnelle est imposée par un tiers, le client doit être informé de toutes les conséquences possibles de cette relation. Le psychologue précise au tiers et au client les différentes modalités et obligations auxquelles il est tenu envers l’un et envers l’autre".

II. L'APPLICATION DES PRINCIPES A L'ESPECE

Au regard de la question qui est posée, il convient de distinguer deux hypothèses : celle où la dénonciation est faite au parquet et celle où elle est faite à l'autorité mandante, en l'occurrence le tribunal de la jeunesse compte tenu de ce qu'il s'agit de placement en IPPJ ou en centre fédéral fermé.

A. Les dénonciations au parquet

Que les professionnels interviennent sous mandat ou non, les dénonciations au parquet ne peuvent légalement avoir lieu que dans l'hypothèse de l'état de nécessité. 

A défaut, elles constituent une violation du secret professionnel auquel est tenu toute personne qui collabore à l'application de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse (art. 77).

Dans les cas qui font l'objet de la question, il paraît peu probable que la révélation des infractions qui ont déjà été commises remplisse les conditions de l'état de nécessité. Il faut, en effet, que le danger soit imminent et certain et que la révélation permette d'écarter celui-ci.

Pour les menaces de passages à l'acte, il ne peut y avoir état de nécessité que dans des situations de péril grave et certain. Un simple risque ne suffit pas. Il faut, en outre, que la dénonciation des faits soit le seul moyen d'éviter que le danger ne se réalise.

La commission est d'avis que ces conditions doivent être interprétées avec rigueur.

B. Les dénonciations à l'autorité mandante

Lorsqu'un mineur confie avoir commis une infraction à un professionnel oeuvrant dans l'institution publique où il est placé, celle-ci ne peut être rapportée à l'autorité mandante que si cette information rentre dans le champ de la mission confiée au professionnel qui intervient sous mandat.

Le mandant étant également tenu au secret professionnel, il ne peut pas révéler ces informations à d'autres autorités, et notamment au parquet, sauf état de nécessité (voy. supra). 

Un membre du personnel de l'institution publique ne peut donc pas révéler à l'autorité mandante que le jeune lui a confié avoir commis une infraction dans le seul but de voir ces faits être réprimés. Il ne peut rapporter cette information que si elle rentre dans le champ de sa mission protectionnelle ou s'il existe un état de nécessité.

La révélation d'une infraction, ancienne ou récente, peut constituer une information importante pour l'autorité mandante dans l'exercice de ses propres compétences. Dans le cas d'espèce, elle peut avoir une incidence sur les mesures qui seront prononcées par le tribunal de la jeunesse après le passage en IPPJ ou en centre fermé.

La commission insiste sur le fait qu'une telle révélation ne peut intervenir que si elle entre certainement dans le champ de la mission confiée par l'autorité mandante au professionnel qui intervient sous mandat. En cas de doute, il convient, pour ce dernier, de s'abstenir.

Il s'impose donc aux professionnels de définir avec précision le contenu de la mission qui fait l'objet du mandat. L'autorité mandante doit indiquer avec clarté ce qu'elle attend du professionnel mandaté. Ce dernier doit interpeller l'autorité si le mandat qui lui est confié est trop flou ou ambigu.

La commission est également d'avis que le professionnel ne peut pas révéler à l'autorité mandante des informations de cette nature si, d'une part, au début de son intervention, il n'a pas explicitement souligné au mineur et à sa famille qu'il était tenu de le faire et si, d'autre part, il ne l'a pas rappelé lorsqu'il a constaté que le mineur voulait se confier à lui à ce propos. Il appartient à ce moment-là au professionnel d'interpeller le mineur et de lui proposer d'en parler à d'autres personnes qui ne seraient pas tenues de les rapporter à l'autorité mandante (avocat, thérapeute, etc.).

La commission insiste pour que tout soit mis en œuvre afin d'éviter les situations où l'autorité mandante apprend l'existence d'une infraction commise par un mineur par l'entremise des travailleurs psycho-médico-sociaux alors que ce dernier n'aurait rien révélé à l'autorité s'il s'était trouvé en contact direct avec celle-ci. Les mineurs étant dans une position de faiblesse caractérisée, celle-ci a pour corollaire une obligation renforcée d'information et de loyauté dans le chef des professionnels.

Notes

1. Les valeurs garanties par le secret professionnel sont l'ordre public (il est de l'intérêt de tous qu'il existe des lieux où on peut se confier), l'intérêt de la profession (des professions ont besoin de pouvoir garantir le secret pour être exercée adéquatement) et la vie privée qui est un droit fondamental auquel il ne peut être dérogé que dans les conditions fixées par l'article 8, § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2. Toutefois, certains codes de déontologie sont plus exigeants que cette disposition et ils invitent le professionnel à se taire même s'il est légalement autorisé à parler.

3. L'article 29, al. 1er du code d'instruction criminelle dispose que "Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu d'en donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou délit aura été commis ou dans lequel l'inculpé pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".

4. Cass., 29 mai 1986, Pas., I, p. 1194

5. Plusieurs code de déontologie confirment cette limite. Voy. notamment l'article 125, § 5 du code de déontologie médicale: Le médecin expert "doit faire preuve de prudence dans l'énoncé des conclusions de son rapport et ne peut révéler que les éléments de nature à fournir les réponses aux questions posées par son mandant". L'article 128, § 3 du même code dispose que "le médecin expert ne peut révéler au tribunal que les faits ayant directement trait à l'expertise et qu'il a découverts dans ce cadre. Il doit taire ce qu'il a pu apprendre à l'occasion de celle-ci hors des limites de son mandat". L'article 1.2.2. du code de la Fédération belge des psychologues : "En cas de compte rendu à une personne autorisée, il se limite à l'information qui se rapporte directement à la question posée". L'article 3.8 du code de déontologie des assistants sociaux établi par l'Union des associations francophones d'assistants sociaux : "Chargé d'une étude sociale, l'assistant social ne rapportera que les faits dont il aura eu connaissance et non les confidences reçues, sollicitées ou non".

6. Cass., 19 octobre 2005, P.05.1287.F.

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