Avis n°61 du Conseil communautaire de l'aide à la jeunesse
Avis relatif à la circulaire du 1er juillet 2002 du Ministère de l'Intérieur portant modification et coordination de la circulaire du 6/06/62, portant instructions générales relatives au certificat de bonne conduite, vie et moeurs
Le décret du 04 mars 1991 du Conseil de la Communauté française relatif à l’aide à la jeunesse prévoit que le Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse (C.C.A.J.) est un organe consultatif qui peut émettre, même d’initiative, des avis et propositions sur toutes matières intéressant l’aide et la protection de la jeunesse.
Dans ce cadre, le CCAJ a consacré quatre séances de travail à l’examen de la circulaire du ministre de l’intérieur du 1er juillet 2002 portant modification et coordination de la circulaire du 6 juin 1962 portant instructions générales relatives aux certificats de bonne conduite vie et mœurs pour aboutir au présent avis adopté à l’unanimité le 18 février 2003.
Déjà en son avis du 27 janvier 1997, le Conseil soutenait l’obligation pour tout intervenant s’occupant d’enfants de produire un certificat de bonnes vie et mœurs.
L’article 1er du décret communautaire du 16 mars 1998 (M.B. du 23 avril 1998) relatif à l’aide aux enfants victimes de maltraitance rencontre ce souci des professionnels du secteur, en ce qu’il prévoit que « toute personne qui œuvre au sein d'un service, d'une institution ou d'une association et qui a pour profession ou pour mission, même à titre bénévole ou temporaire, de contribuer à l'éducation, la guidance psycho-médico-sociale, l'aide à la jeunesse, la protection infantile, l'animation et l'encadrement d'enfants, doit être en mesure de produire à tout moment un certificat de bonne vie et mœurs exempt de condamnation ou de mesure d'internement pour faits de mœurs ou de violence à l'égard des mineurs ».
Le Conseil constate que la circulaire du 1er juillet 2002 dépasse les exigences imposées par le décret communautaire en ce qu’elle prévoit, outre la mention des condamnations fermes et conditionnelles ainsi que les mesures d’internement qui figurent au casier judiciaire, un avis obligatoire du chef de corps de la police locale ou d’un officier désigné par ce dernier. Le conseil relève également qua la circulaire mentionne que la colonne « observations » figurant sur le certificat « permet à l’autorité habilitée à délivrer le certificat de donner son appréciation nuancée quant à la vie et aux mœurs de l’intéressé » et qu’à « cet égard, l’autorité locale peut tenir compte de tous les éléments de fait possibles lui permettant d’émettre un jugement exact concernant la conduite générale et les mœurs de la personne concernée ».
Si le caractère objectif de la mention des condamnations et des mesures d’internement ne fait aucun doute et permet certainement de rencontrer la volonté du législateur tant fédéral (voir la loi du 8 août 1997 relative au casier judiciaire parue au M.B. le 24 août 2001et entrée en vigueur le 3 septembre 2001) et du législateur communautaire (voir décret maltraitance du 16 mars 1998 précité) de protéger des enfants à l’égard de personnes ayant déjà commis des infractions de mœurs ou de violences physiques à l’égard d’un mineur, le Conseil estime par contre dangereux et inadmissible que la circulaire incite à nuancer l’appréciation de la bonne conduite, vie et mœurs en se fondant sur d’autres éléments dont le caractère subjectif n’offre pas de garanties suffisantes quant au respect des droits des personnes concernées et de leur vie privée.
Le Conseil estime qu’il existe un risque évident de dérive déjà constatée dans les faits depuis l’entrée en vigueur de la circulaire du 1er juillet 2002. A titre d’exemple, Un bourgmestre a entendu préciser qu’une « appréciation doit être portée sur d’autres éléments relevant de la conduite en général tels que la maîtrise de soi-même, l’existence éventuelle de troubles relationnels, etc… » et que c’est « sur base de cette analyse de la conduite globale de l’individu » qu’un « avis sera remis indiquant que le demandeur est ou n’est pas de bonne conduite, vie et mœurs ».
Le Conseil déplore par ailleurs le manque de transparence quant aux démarches et à la procédure suivie par les fonctionnaires de police chargés des enquêtes, l’absence d’obligation de communiquer à la personne concernée les éléments sur la base desquels l’avis a été établi et enfin l’absence de recours rapide et effectif contre l’appréciation portée sur le certificat. La porte est ainsi ouverte à des appréciations totalement subjectives, à des intrusions dans la vie privée par des enquêtes au domicile de la personne concernée et dans son voisinage ainsi qu’à l’arbitraire. Il pourrait toutefois admettre que soit mentionnée dans la rubrique « Observations » une interdiction ordonnée par un juge d’instruction ou une juridiction d’instruction d’exercer une activité la mettant en contact avec des enfants.
Sur la base de ce constat, le Conseil communautaire de l’aid eà la jeunesse :
- se propose de saisir la Commission de la protection de la vie privée sur la base de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel afin qu’elle rende un avis sur la conformité de la circulaire du 1er juillet 2002 avec les principes fondamentaux de la protection de la vie privée consacrés par les dispositions de ladite loi ;
- suggère que le gouvernement de la Communauté française saisisse également la Commission de la protection de la vie privée ;
- suggère que la Mme la ministre de l’aide à la jeunesse demande à M. le ministre de l’intérieur de revoir le contenu de sa circulaire du 1er juillet 2002 après concertation avec les secteurs concernés, et en particulier avec le secteur de l’aide à la jeunesse;
Le présent avis est adressé à M. le ministre de l’intérieur et à Mme la ministre de l’aide à la jeunesse.
Pour le Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse,
Bruxelles, le 18 février 2003,
Le Vice-Président, Christian Thiry
Le Président, Pascal Henry
La Vice-Présidente, Geneviève Lacroix